Pensée Sauvage #7

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mai 2021

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Pensée Sauvage #7

La (vraie) vie rêvée des gens

Un grand vent nouveau souffle-t-il réellement sur le métier ? Fini le monde d’après (bien vu DDB pour Volkswagen), bienvenue dans la vraie vie. Fini la publicité pleine de gens parfaits et ses injonctions à être beau, riche et bien portant, bonjour les tranches de vie avec des vrais morceaux de RSE dedans (comme le revendique Picard dans son premier film de marque avec Score DDB). On dit que les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel mais c’est bien là le truc : pour toucher le porte-monnaie, il faut toucher au cœur, et là rien de tel que de se mettre à hauteur des gens, des parents et de leurs galères, voire des enfants (famille nombreuse, famille heureuse promet Intermarché avec Romance dans le petit dernier « Et moi »), et même des animaux de compagnie (avec Altmann et Pacreau, Maïwenn donne la parole au chien pour la SPA).


Que sont devenues toutes nos idoles ? A l’heure où les footballeurs se font dépouiller et que l’ancien Wonderboy Tapie se fait saucissonner en règle, les stars perdraient-elles de leur aura ? On assiste comme à un phénomène de désacralisation que les communicants intègrent néanmoins en leur coupant le son (pas les bourses, mais pas loin, avec un Brad Pitt muté par Buzzman pour Boursorama) ou en les entraînant dans la boue (Catherine Deneuve en bottes en caoutchouc, Belle de Jour devenue belle des champs, qui collectionne les poules sur le Bon Coin avec DDB). On sent que même le luxe vacille dans ses codes, là où les égéries étaient parfaites et où l’on ne parlait pas d’argent – aujourd’hui dans ses annonces, Mauboussin limite les retouches sur ses mannequins et affiche ses prix. Et pour ceux qui n’auraient pas renoncé au rêve hollywoodien, ce n’est pas sans risque. Pour la campagne du sac Capucines, Louis Vuitton, à travers son DA Nicolas Ghesquière, met en scène Léa Seydoux, shootée par Steven Meisel, seule dans le lit dans ses draps blancs froissés, façon Marilyn Monroe dernière séance par Bert Stern. La série est très belle (beaucoup de cœurs sur Instagram) mais est aussi conspuée pour son sexisme (beaucoup de commentaires virulents sur Twitter, raillant le procédé de la femme instrumentalisée pour vendre un sac à main, notamment celui d’une lectrice du New York Times qui annonce son désabonnement du journal dont les pages sont envahies de ces publicités affligeantes).



On sait bien que les meilleurs publicitaires sont avant tout des sociologues. Aussi est-il logique que l’évolution des récits de la pub reflète la tectonique des plaques de la société. On peut supposer que ces phénomènes de déboulonnage des statues et de lambdas qui se prennent pour des stars sont le symptôme d’une horizontalisation du monde, où la verticalité des astres et des dieux, avec sa part de secret et de sacré, a cédé la place l’horizontalité et à la démystification permanente comme le suggère le très beau texte de Bruno Remaury Le Monde horizontal (éditions José Corti). C’est d’ailleurs pour part ce discours de démystification que revendiquent de plus en plus de marques, fondé sur la soif de transparence et de vérité des consommateurs. La fin du secret, on vous dit tout, on vous partage notre savoir-faire (Olympus propose des formations à la photographie), on vous montre nos coulisses (reportage dans les ateliers, making of de notre shooting), et la fin du fake, on vous prend comme vous êtes (diversité, inclusivité), on rentre dans votre intimité (2 frères chez La Redoute par Géraldine Nakache pour Fred&Farid), on vous prend au berceau (appel à casting sur Tik Tok), on vous met en scène, vous les consos et votre style de vie.


Lifestyle partout, différenciation nulle part. Et ne croyez pas qu’on crache dans la soupe. Chez Elvis on aime beaucoup jouer le registre du style de vie et on est les premiers à aimer caster des vraies gens de la vraie vie pour jouer les ambassadeurs de marque, comme on peut le faire pour la marque Fermob avec les #fermobpeople. Sauf qu’aujourd’hui tout le monde fait ça. Et que tout finit par se ressembler. Des enseignes discount aux marques premium, des produits de grande consommation aux produits d’équipement, bizarrement les styles de vie se rapprochent. Et quid de l’attribution alors ? Ce qui nous paraît surtout important est de ne pas oublier l’enjeu de trouver un territoire fort et personnel pour chaque marque que nous accompagnons, car le casting ne fait pas tout, et le parti-pris du lifestyle n’est qu’une forme qui ne remplace pas le fond. Ce qui nous frappe dans nombre de films, c’est qu’à force de plasticité on en oublie la voix de la marque, voire son champ de compétence. Toute à la valorisation de ses consommateurs, la marque se fait plus petite, on en viendrait presque à regretter l’ami Ricoré, les produits aussi passent au second plan, sans parler des prix (sauf chez Leclerc où Jésus et Gabriel les ont habilement incrustés pour la Marque Repère). Intéressant d’ailleurs de noter la création d’un poste de Chief Creative Officer chez Ikea (eh non, ça n’existait pas) auquel vient d’être nommé Linus Karlsson (un gars de la pub passé chez CPB, McCann et Mother New York), qui a pour mission d’insuffler une créativité cohérente et transversale sur l’offre et sur la communication pour l’ensemble des marchés et qui souligne l’enjeu de retrouver la voix interne de la marque Ikea.


Alors moins fake la vie ? Un casting Benetton, une cuisine ouverte, des légumes bio issus des circuits courts, un vélo, des enfants trop sympas. La vraie vie de tous ces gens ressemble quand même drôlement à une vie Instagram, la (vraie) vie rêvée des gens en somme. Nous, on revendique aussi la part de cinéma que représente notre travail, que ce soit dans le casting, les choix de mise en scène, d’éclairage etc. Et ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs. Aujourd’hui les agences castent un gros cul comme avant on castait un petit cul. C’est peut-être plus inclusif mais on n’est pas à l’abri de nouveaux stéréotypes. Ce qui compte, c’est de l’assumer et de ne pas oublier de le faire au service d’une idée, d’un projet singulier, d’une valeur ajoutée. Alors pourquoi choisir entre vraie vie ou vie rêvée ? Et si le vrai défi était là, faire un pont entre vraie vie et vie rêvée des gens ? En tout cas, c’est ce qui nous anime, faire ce pont, pour de bon, et surtout le faire avec sincérité.

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