Pensée Sauvage 8

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novembre 2021

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Pensée Sauvage 8

Décompte de Noël

Voilà un moment déjà qu’ont fleuri les premières campagnes de fin d’année. A l’approche des fêtes qui représentent pour la plupart des marques un enjeu business crucial, on peut se demander de quoi cette année Noël sera fait : veau gras ou vache enragée, ou alors menu haché végétal ? À l’heure de la reprise économique, entre le moral des consommateurs et la moralisation (annoncée) de la consommation, un intrus vient semer le trouble : le Père Noël est en rupture.


Comme toutes les agences du monde, nous continuons inlassablement de sonder pour le rendre moins obscur l’objet du désir de nos chers consommateurs. Pour peu qu’on sache les lire, leurs désirs sont des ordres de mission qu’auprès de nos marques nous traduisons, l’entendez-vous dans nos campagnes ? Mais on dirait que cette année, ces désirs font désordre. Au regard de la palanquée d’études sur les attentes des consommateurs au sortir de la pandémie, on ressent comme une sorte de mouvement schizophrénique. D’un côté on observe une frénésie d’achat, une intention de dépenser plus. 62% des consommateurs français ont l’intention d’acheter de plus gros cadeaux à Noël et 57% prévoient de s’offrir le voyage de leur vie (1). D’un autre côté, on constate une prudence, 46% des acheteurs avouant être à 10€ près quand ils font leurs courses quotidiennes. Mais les courses de Noël ne sont pas quotidiennes. Et même pour le quotidien, pour plus d’un shopper sur deux, aller faire les courses reste une source de plaisir (2). La bonne nouvelle, c’est que la consommation n’est pas morte, le désir est bien là.


Du côté des indicateurs économiques, la reprise est perceptible, courbe de croissance retrouvée, taux de chômage inférieur à son niveau d’avant le Covid, pouvoir d’achat en hausse malgré une perception brouillée du fait de la hausse des prix de l’énergie, même si la consommation n’a pas encore retrouvé pleinement son niveau d’avant la crise. Faut-il voir là un effet du changement de valeurs des consommateurs ? C’est ce qu’on pourrait croire en lisant un peu vite le dernier rapport annuel d’Accenture (3), et surtout la manière dont la presse le relaie en affirmant « exit le prix et la qualité, place à la vertu ». Loin d’exclure ces deux critères qui reculent mais restent prépondérants, ils accordent désormais plus d’importance que par le passé (et dans cet ordre-là) à des notions de service, santé/sécurité, confiance/réputation, facilité/confort et origine des produits, traduisant des préoccupations moins morales que pragmatiques, probablement marquées par leur expérience d’approvisionnement, notamment en ligne, en période de confinement (d’autant que le terrain de l’étude a été mené entre décembre 2019 et février 2021).


D’ailleurs si le désir est là, c’est même un désir plus grand, qui ferait idéalement une place au plaisir et à la responsabilité. Un désir perturbé (4), conscient des enjeux de la planète et soucieux des fins de mois, mais un vrai désir quand même. Qui compte sur les marques pour les aider à accéder à un plaisir responsable et pas coupable. La consommation a un prix, aux marques de saisir cet enjeu comme une opportunité pour créer plus de valeur et en profiter pour créer une valeur différenciante. Du côté des grandes enseignes de distribution, on sent bien que la fin d’année sera festive sur le prix, avec déjà des initiatives de publicité comparative du côté de Leclerc mais aussi des copy TV sur le prix bas dans le bio, et ça c’est nouveau. Mais ce qui vaut pour certaines catégories ne vaut pas pour toutes. Se limiter au prix serait un cruel manque d’imagination pour les marques (et leurs agences) qui n’entendraient que les contraintes et pas la somme des envies de ces consommateurs qui légitimement veulent tout : nouvelles expériences shopping, se faire plaisir, s’offrir des cadeaux pour prendre soin de soi, consommer mieux, consommer local (63% se disent même prêts à payer plus cher) (1) … Sans compter que réduire la fête de Noël à la fête du slip, ce serait quand même une sacrée faute de goût!.

En parlant de faute de goût, n’en serait-ce pas une de communiquer trop tôt pour communiquer sur Noël ? Si c’est un art de déterminer le bon message, c’en est un autre de le diffuser au bon moment, et en dégainant trop tôt, certains se sont pris une volée de bois vert sapin pour indécence de la fête. Ainsi l’initiative prise au UK par le distributeur Very de communiquer sur Noël avec un spot de 30 secondes dès le 1er octobre, soit à J-85, avec force pulls de Noël, chants et clochettes, a été perçue comme opportuniste et inappropriée (5). La magie de Noël s’use si l’on en abuse. A vouloir mettre trop tôt dans son fil le Père Noël, on est facile pris pour le Père Fouettard.


Toutefois, un nouveau paramètre rend les perspectives de fin d’année difficiles à apprécier : le risque de rupture de stock, qui vient toucher des catégories comme les jouets, les chaussures ou les vêtements. Une tuile pour remplir les petits souliers par la cheminée, même si ceux qui font feu de tout bois trouvent là une bonne raison d’inciter les gens à faire leurs achats dès à présent. Mais au-delà de l’aspect mécanique et comptable de la chose, ce serait quand même la première fois en France depuis les Trente Glorieuses qu’on se retrouverait dans une situation de pénurie de biens de consommation. Du petit point de vue de nous autres agences, ce serait comme un retour vers le futur de la réclame, quand il suffisait de montrer un produit pour répondre à un besoin. Un genre de vacances (de Noël) avant l’heure. Le conte de la mauvaise fée qui permettrait aux djeuns de prendre leur revanche sur les vieux cons qui inlassablement leur rappellent qu’à leur époque, ils recevaient une orange à Noël - sauf que même pas parce que l’orange ce n’est pas possible. Ce n’est pas local.


Ce n’est évidemment pas le scénario qu’on se souhaite mais force est de constater qu’en situation d’abondance, lorsque tout est là, étalé, la valeur des choses n’est pas la même. Peut-être faut-il savoir disparaître pour réapparaître. C’est peut-être le bug géant de Facebook, pourtant sous le feu des critiques, qui, en privant lundi 4 octobre des milliards d’utilisateurs pendant six longues heures de leurs réseaux habituels, a créé un petit vent de panique qui a failli reléguer le confinement à une blagounette mais a rendu ainsi une forme d’humanité au moins mignon des GAFA. Et ce n’est pas OVH qui va démentir cette logique avec sa grosse panne intervenue à deux jours de son entrée en bourse, c’est ballot mais ça ne l’a pas empêché de réussir son opération. C’est peut-être aussi une des raisons du triomphe de l’Arc emballé par l’enfant Christo. Un geste qui a redonné du piquant à un monument qui faisait partie du décor au point qu’on ne le regardait plus, comme un gros paquet cadeau fait aux Français, place de l’Etoile la bien nommée, à quelques encablures des fêtes.


Quant à savoir comment tout ça va finir, mystère et boules de Noël. Mais ça devrait être joyeux.


Sources
(1) Rapport Holiday Shopping Trends 2021, Sitescore via Comarketing News
(2) Baromètre IPSOS pour intore Media, juin 2021
(3) Reimagined : mapping the motivations that matter for todays consumers, Accenture, 16ème rapport annuel
(4) Le droit au désir responsable, Xavier Charpentier et Véronique Langlois, Freethinking, in Influencia
(5) What Very’searly Christmas ad reveals about the nation’s mood year, Hannah Bowler, in The Drum, 08 octobre 2021

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